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Literatur

"Firwat gesinn d'Demokratien net, wou China histeiert?"

De Ma Jian, ee vun de wichtegste chinesesche Schrëftsteller, lieft zanter enger Partie Joren am Exil. Seng Bicher sinn a China verbueden. A sengem satiresche Roman "China Dream" (Flammarion) rechent hie mat den totalitäre Pläng vum chinesesche President Xi Jinping of. De Michel Delage hat am Juni um Festival Étonnants voyageurs zu Saint-Malo d'Geleeënheet, fir mam Ma Jian ze schwätzen.

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9 min

Michel Delage: J'aimerais vous citer l'auteur roumain Bogdan Teodorescu ("Le Dictateur qui ne voulait pas mourir") qui disait: "Les rêves des dictateurs sont les cauchemars de la population". Que cela vous inspire-t-il?

Ma Jian: Je connais bien cet auteur qui parle de la population qui se trouve effectivement contrôlée par un dictateur et qui va jusqu'à faire disparaître l'humanité des gens. Évidemment, quand j'ai écrit mon propre livre, j'avais une pensée très forte pour cet ouvrage-là.

Le but de ce contrôle, que ce soit le contrôle des rêves ou le contrôle des souvenirs par le dictateur, n'a qu'une seule visée: anéantir l'individu. En même temps que le dictateur va exercer son contrôle sur les rêves de l'autre, il va craindre que ses propres rêves ne soient découverts. Cela le place dans un statut double, à la fois d'oppresseur et d'oppressé.

Cette année-ci est commémoré le 30e anniversaire du massacre de Tian'anmen. Vous aviez écrit en 2008 un livre important sur cet événement ("Beijing Coma"). Depuis, comment vit-on en Chine?

Durant ces 30 années, le Parti communiste a écrasé la vertu et l'humanité de la population chinoise. On voit aujourd'hui des gens qui n'ont plus aucun sens de l'humanité, plus aucune vertu, qui sont capables de tout parce que la valeur de l'argent a remplacé toutes les autres valeurs. Une des croyances les plus dramatiques est la perte de croyance ou de foi. La croyance dans le marxisme est fausse, la croyance dans les valeurs confucéennes pareil, c'est du pantomime. L'argent a tout remplacé.

Ce que l'on peut constater aussi à l'issue de ces 30 années, c'est qu'un Parti communiste chinois qui a de l'argent est pire qu'un Parti communiste qui n'en avait pas. Le succès de ce massacre d'il y a 30 ans va conforter le Parti dans le fait qu'il peut utiliser les mêmes moyens pour établir son autorité au Tibet et au Xinjiang, par exemple. Avec la même violence qu'il y a 30 ans.

La question que l'on peut se poser aujourd'hui: pourquoi, après ces 30 années, les pays occidentaux, les "démocraties" des pays occidentaux, n'ont-ils pas compris ou ne voient-ils pas que la guerre froide n'est en fait pas terminée, qu'elle continue sous d'autres formes? Pourquoi ne voient-ils pas ce que la Chine est en train d'accomplir?

Justement, la Chine utilise les moyens technologiques pour amplifier la répression de ses citoyens. Il y a par exemple ce nouveau système de points et de surveillance qui vise à sanctionner plus efficacement ceux qui violent les règles. Ne faut-il pas craindre que la Chine puisse, en ce sens, servir de laboratoire pour les pays occidentaux, qui, eux aussi, manifestent des tendances autoritaires? L'exemple de la Chine démontre que le système capitaliste peut se passer de démocratie ...

A l'heure actuelle, on ne peut absolument pas prévoir dans quel sens la Chine va continuer à se développer, à étendre son autorité et sa dictature. Ce dont on peut être absolument certain, c'est que l'autoritarisme et la technologie, la conjonction de ces deux éléments, est absolument effrayante!

Internet, par exemple, devait servir la liberté des échanges et faciliter les communications entre les pays. Ça a eu l'effet absolument inverse en Chine. A cause d'Internet, parce qu'on a publié un article ou un commentaire, des auteurs, des écrivains, des avocats se retrouvent emprisonnés. Dès qu'Internet se retrouve entre les mains d'un dictateur, cela devient en fait une arme au service de cette dictature. L'avertissement que l'on pourrait adresser aux démocraties, c'est d'être très vigilantes, de ne surtout pas applaudir les dictateurs et de prêter vraiment la plus grande attention aux personnes auxquelles on confie le pouvoir.

"Seuls l'UE et les USA peuvent résister à la dictature chinoise"

Un autre problème: une fois qu'un dictateur devient puissant, il se trouve imité par d'autres dictateurs dans des petits pays. Citons l'exemple des dictatures en Turquie, dans les pays arabes ou au Vénézuela. On s'aperçoit que ces dictateurs-là sont soutenus par le grand dictateur qui va leur donner de l'argent. Ils vont donc constituer une puissance de plus en plus importante à l'échelle mondiale.

Aujourd'hui, les deux seuls puissances qui peuvent résister à la dictature chinoise sont l'Union européenne et les Etats-Unis. Tous les autres pays autour ne comptent plus, ne représentent plus aucun obstacle pour la dictature chinoise. Le seul objectif maintenant pour le Parti communiste est de trouver le moyen de briser la défense que représentent ces deux puissances-là.

Un dictateur n'appellera jamais à des éléments rationnels, le bon sens, la légalité ... Tout cela n'a aucun poids dans son esprit. On est dans une espèce de déraison complète, d'absurdité. Par exemple, des entreprises comme Google ou Facebook sont absolument interdites en Chine. A l'inverse, Huawei essaie de s'introduire aux Etats-Unis - sans succès. Le rapport de force est absolument déséquilibré, il n'y a pas d'égalité possible quand on est dans ces configurations de dictature.

Vous êtes interdit de publication en Chine. Quel est donc le sens de votre travail d'écrivain? Vous adressez-vous à un lectorat occidental pour qu'il fasse pression sur ses propres gouvernements, afin que ceux-ci s'opposent plus fermement à la Chine?

Le Parti communiste chinois, confronté à un écrivain qui s'oppose à son autorité, donc confronté à un dissident, procède de deux manières: soit on le fait disparaître en prison, soit on l'exile, c'est-à-dire qu'on lui ordonne de quitter le pays.

De manière paradoxale, cela laisse un espace de liberté et d'écriture. L'écrivain qui arrive dans un pays où il a le droit d'écrire doit d'autant plus écrire et faire connaître la situation réelle du pays à tous les lecteurs possibles. Pas en Chine, mais en Occident, justement, où on ne sait pas, puisque la Chine ne laisse sortir ces informations. Et donc faire savoir que la dictature chinoise est aussi effrayante que l'extrémisme islamiste, que c'est la même terreur qui peut être engendrée pour la population.

Au moment du 30e anniversaire de Tian'anmen, il y a toutes sortes de mouvements pour commémorer les événements. Évidemment, ils ont tous été censurés sur internet, des rassemblements ont été interdits. Des gens ont été enfermés pour quelques jours. Ces mouvements existent malgré les interdictions.

Donc, le souvenir de Tian'anmen est toujours vivant en Chine?

Par rapport à 1989, la population, les étudiants ont vieilli. Toute une génération a vieilli, bien sûr. Simplement, cette génération a un devoir de mémoire, le devoir de transmettre aux nouvelles générations le souvenir de ces événements. On s'aperçoit qu'il y a des jeunes aujourd'hui qui cherchent à se renseigner, qui s'intéressent, qui vont tenter d'accéder à des sites interdits en Chine. Ils utilisent des logiciels permettant de passer la barrière. Ils veulent essayer de comprendre ce qui s'est passé, bien que chercher à accéder à ces informations soit considéré et défini comme un crime par le gouvernement.

Un autre point intéressant: à Hong-Kong, cette année, on compte le plus grand nombre de personnes qui ont commémoré le 30e anniversaire. On s'aperçoit que les atrocités commises par le Parti n'échappent pas à ce besoin de comprendre et de savoir. Le président actuel, Xi Jinping, essaie d'étendre ce mal au Tibet et au Xinjiang. Mais, à l'avenir, les gens chercheront à savoir de la même façon, et ils comprendront que la puissance de ce mal est née du massacre de la population de Pékin il y a 30 ans sur la place Tian'anmen.

L'intérêt du pouvoir, à ce moment-là, n'est-il pas d'effacer la mémoire du passé? Cette thématique est au centre de votre nouveau roman "China Dream", comme c'était déjà le cas pour "Beijing Coma" ...

La première inspiration pour ce livre a été la prise de parole de Xi Jinping lorsqu'il a évoqué la promotion du "rêve chinois de renouveau national" [en novembre 2012, md]. On pense évidemment à une utopie et au fait que les utopies ne sont pas réalisables dans les sociétés dans lesquelles on vit. Nous vivons dans un monde avec des êtres humains qui ont des défauts. Une construction utopique est intenable. Celui qui évoque le "rêve chinois" est en fait un menteur.

La preuve qu'il ment: il va parler du "rêve chinois" devant le musée de l'histoire chinoise qui ne fait aucune mention de certains événements de l'histoire de Chine, comme le massacre de Tian'anmen, comme la répression au Xinjiang ou le fait de priver les Tibétains de leur liberté.

Le but de cette personne est d'effacer la mémoire des individus et aussi la mémoire collective, pour la remplacer par un idéal qu'il a lui-même façonné. Une fois leur tête emplie avec ça, les gens deviennent des esclaves. Ils sont complètement asservis à cet idéal qui leur a été inculqué de l'extérieur, avec l'idée qu'on va détruire l'individu, détruire ses capacités de réflexion, ses capacités de remise en question et donc sa liberté de penser par soi-même, aussi bien chez les professeurs que chez les artistes, les écrivains, les scientifiques. Prenons le domaine technologique: Huawei ne travaille pas de manière autonome, mais est au service de cette idéologie, de ce "rêve".

Vous partagez certains points communs avec Xi Jinping: vous avez le même âge. Tout comme vous, il a eu un parcours accidenté, il a connu la répression et a été emprisonné. Qui est ce personnage? Comment faut-il le comprendre?

Comparé à de nombreuses personnes qui ont vécu la Révolution culturelle ... Bon, Xi Jinping, apparemment, a un ou deux ans de plus que moi. A cause de son père, effectivement, il a subi quelques maltraitances. Il fait partie de la deuxième génération rouge, dont la situation s'est très vite améliorée après la Révolution culturelle. Très vite, des personnes ont pu jouer un rôle politique au niveau du district ou au niveau provincial. Leur souffrance est incomparable par rapport à certaines personnes qui ont vraiment été maltraitées.

"Xi Jinping est pire que Mao"

Hormis la politique et le pouvoir, il n'y a rien qui intéresse Xi Jinping. Il ne s'intéresse à rien d'autre. Toutes les ressources, tout ce qui peut nourrir sa vision politique ou son désir de faire de la politique se résume à Mao. La seule différence, c'est qu'il est encore pire que Mao. La différence majeure est que Mao, à l'époque, avait mené une révolution qui avait pour but, du moins au début, l'amélioration de la condition des pauvres, des paysans. Il avait quand même ce souci. Alors que Xi Jinping, lui, à une époque où on a absolument pas besoin de guerre, est en train de maltraiter la population chinoise.

Vous avez, Ma Jian, beaucoup voyagé en Chine pour vous informer de la situation dans les différentes régions de votre pays. En tant qu'écrivain, il est très important de se maintenir au courant de la vie concrète des gens. Or, depuis quelques années, vous vivez à l'étranger, puisque vous êtes interdit d'accès au territoire chinois - vous n'avez plus ce contact. Avez-vous l'espoir de pouvoir, un jour, rentrer en Chine et d'y poursuivre vos voyages?

Je peux dire que j'ai fait le tour de la Chine, j'ai vraiment voyagé dans de très nombreux endroits. La dernière fois que j'y suis allé, c'était en 2008, au moment des Jeux olympiques, quand j'avais encore le droit de séjour. J'avais voyagé pendant six mois sur les routes de campagne, en vue d'un livre sur la mesure concernant l'enfant unique ("La Route sombre"). J'avais pris connaissance de la situation tragique d'un très grand nombre de femmes. Et c'est seulement après la parution de ce livre que j'ai été totalement interdit de séjour en Chine.

Les voyages que j'ai effectués jusque-là m'ont donné de la matière pour écrire des histoires pour encore les dix ou vingt prochaines années. Le fait de vivre en Angleterre me facilite la tâche parce qu'on a accès à des informations qui ne sont précisément pas disponibles quand on vit sur place, en Chine: sur les expropriations, l'accaparement des terres par le Parti, toutes sortes de contrôles, la supervision d'Internet, etc. Évidemment, j'aimerais espérer qu'un jour le Parti communiste n'existera plus et que je pourrais retourner dans mon pays ...