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/ "Kranker heelt een net mat Wierder"

Film

"Kranker heelt een net mat Wierder"

"La Montagne sacrée", "El Topo, "La Danza de la realidad", oder nach eng pharaonesch Adaptatioun vum Science Fiction-Klassiker "Dune", déi awer ni realiséiert gouf. Dat an nach vill méi dréit d'Ënnerschrëft vum Alejandro Jodorowsky. De franséisch-chileenesche Cineast, Theaterregisseur a Kënschtler, war fir eng Masterclass um LuxFilmFest. Do huet hie säin Documentaire "Psychomagie, un art pour guérir" virgestallt.

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5 min

Michel Delage: On dit souvent que l'art ne permet pas de changer, de transformer la société. Mais peut-on envisager que l'art puisse agir sur l'individu, le guérir de maux psychiques, par exemple? C'est en tout cas ce que vous suggérez dans votre nouveau film "Psychomagie, un art pour guérir".

Alejandro Jodorowsky: Je suis d'accord qu'on ne peut pas guérir la société. Mais on peut commencer à la guérir. Quand on guérit l'individu, au fond, on est en train de guérir la société. Le but, c'est la société. Le "moi" doit se changer en "nous". Nous ne sommes pas des individus isolés, nous sommes une société.

Dans votre documentaire, vous faites la démonstration de la psychomagie, que vous distinguez de la psychanalyse. Qu'est-ce qui différencie ces deux pratiques?

Les deux prétendent résoudre des problèmes plutôt spirituels. On ne fait pas de la médecine, les cancers et ces sortes de choses, ce serait du charlatanisme. C'est le domaine des médecins. Si on va guérir une personne en tant qu'artiste, on va plutôt guérir son esprit, ses neuroses, etc.

La différence entre la psychomagie et la psychanalyse est essentielle. Les deux travaillent certes avec l'inconscient. Mais la psychanalyse ne travaille qu'avec des mots. On parle, on parle, on parle ... et on ne sort pas de la relation avec le psychanalyste. On discute, et ça peut durer quarante ans! Quant à la psychomagie, il s'agit d'une rencontre, simplement, pas d'une guérison par la parole. Ça passe par des actions, en général des choses que tu n'as jamais faites, qui ont à voir avec la famille, la société, la culture, etc.

Le film montre la façon dont vous procédez. Ce sont des actes assez charnels, assez physiques. Il y a un contact physique permanent.

N'oubliez pas que dans le film vous voyez des actes de psychomagie qu'il est possible de filmer. Certains ne peuvent pas être filmés parce qu'ils ne sont pas visibles. Par exemple, peints-toi les testicules en rouge si tu ne te sens pas courageux. Ça, tu ne peux pas le montrer. Tu ne vas pas te promener dans la rue avec tes testicules à l'air, de couleur rouge ...

"Je ne veux pas passer pour un gourou ou un saint"

Chaque personne reçoit un conseil d'action différent, en accord avec son malheur. Tout le monde n'est pas pareil. Ça ne se passe pas comme avec la médecine. Si par exemple, tu as un problème de circulation du sang, tu devras prendre telle pilule pendant toute ta vie. Et tous les médecins devront donner cette même pilule. Par contre, avec la psychomagie, un même symptôme peut appeler un processus de guérison différent.

"Psychomagie, un art pour guérir" est une succession de guérisons, ce qui renvoie en un sens à des récits hagiographiques, des vies de saints, qui sont constituées de miracles. Vous-même, vous voyez-vous comme une sorte de saint?

Non, non, je ne me vois pas comme ça!

... c'est en tout cas ce que suggère la structure du film, qui passe de l'individuel au collectif. Ça prend de l'ampleur.

Je ne suis même pas un guérisseur. Je propose aux gens un système pour s'améliorer, c'est simplement ça. Je lutte complètement - et tu peux le voir dans le film - contre l'idée de passer pour un gourou ou un saint. Ce qui m'importe, c'est d'arriver à une relation humaine.

J'ai commencé à faire ce travail à partir du théâtre, où on fait beaucoup d'exercices physiques: le mime, la pantomime, etc. Donc, moi, je n'avais rien contre le corps. Je n'avais pas la neurose qu'avait Sigmund Freud comme quoi il ne fallait pas toucher le patient, parce qu'on allait projeter sur lui des désirs sexuels.

Il y a différentes façons de toucher une personne: on peut la toucher émotionnellement, sexuellement, avec autorité ... Comme chez un professeur d'exercice physiques, il y a différents touchers. Moi, je n'exclus pas le toucher, je dis-même que c'est nécessaire. Si tu ne prends pas le malade dans les bras, tu ne le guéris pas. Rien qu'avec les mots, tu ne vas pas le guérir.

Votre cinéma a toujours été très libre, avec une représentation du corps nu, du corps dans tous ses états. De la chair morte, aussi, chair animale, du sang, etc. Pourriez-vous encore tourner aujourd'hui un film aussi exubérant et excessif que "La Montagne sacrée" (1973), compte tenu du climat moral ambiant?

Ce film était tellement en avance sur son époque, que j'ai dû attendre trente années avant qu'il soit compris. Le faire à l'époque était aussi difficile que de le faire maintenant. Qu'est-ce qu'un art? C'est une activité sociale qui va plus loin que les limites de la société du moment. Il ouvre des horizons. Il est toujours en avance, et c'est toujours difficile. Le vrai art est une lutte complète contre les préjugés créés par des siècles d'histoire.

"Un vrai art peut attendre trente années"

Dans tes questions, tu parles beaucoup du corps. Eh bien, tu as un problème avec ton corps! Tu ne me poses pas une seule question sur l'esprit. Tu ne t'occupes pas de l'âme. Tu ne t'occupes pas du problème de la conscience. Tu ne me parles que du corps et du fait que ça va choquer la société. Moi, je ne suis ni dans les problèmes religieux ni dans les problèmes politiques. Je pense à l'œuvre, pas aux fruits de mon œuvre. Je ne pense pas à faire de l'argent. Je ne pense pas à la gloire. Je ne pense pas à avoir du pouvoir. Je fais ce que je fais.

Si on comprend mes films, on les comprend, si ce n'est pas le cas, on les comprendra un jour. Si c'est un vrai art, il peut attendre trente années - moi, j'ai attendu trente années. J'ai passé vingt ans sans faire de film, à cause de problèmes. Avec patience et persévérance, j'ai continué. Pas que ça ait été difficile. Mais l'art n'appartient pas au moment historique. C'est un langage qui se réalise dans le futur de la société. Il ouvre des chemins.