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Film

"D'Finanzleit an d'Acteuren hunn d'Muecht beim Film iwwerholl"

De franséische Realisateur Jacques Doillon léisst kee gutt Hoer un der Entwécklung vun der Filmindustrie! De Filmveteran, Juryspresident beim leschte CinEast-Festival, ass skeptesch, wat d'Méiglechkeet betrëfft, hautdesdaags nach usprochsvoll Filmer kënnen ze dréien.

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5 min

De Jacques Doillon um Mikro vum Michel Delage

Michel Delage: Quel regard portez-vous sur le cinéma actuel et la possibilité de faire des films?

Jacques Doillon: Aujourd'hui, les financiers et les comédiens, ensemble, ont pris le pouvoir. C'est plus difficile. Pour parler de l'Italie: Est-ce que Federico Fellini pourrait faire des films aujourd'hui? Non. Est-ce que Michelangelo Antonioni pourrait faire des films aujourd'hui? Non. Est-ce que Roberto Rossellini pourrait faire des films aujourd'hui? Je n'en suis pas certain... Je pense que les metteurs en scène "de première division" ont un mal de chien à faire des films.

Il n'y a plus d'auteurs?

Il n'y en a plus. On ne demande pas aux réalisateurs d'être des auteurs, on leur demande de fabriquer ce qui fonctionne, ce qui marche bien. Il y a certainement des indépendants, peut-être assez formidables. Mais est-ce qu'ils arrivent à faire leurs films? Certainement bien plus difficilement que leurs aînés. Est-ce qu'on peut voir leurs films? Très difficilement. Donc, de plus en plus les films sont des films de festivals.

Les cinéastes américains peuvent faire un film un peu dans leur coin. Et puis il faut que le deuxième soit repris par les grandes majors, sinon ils ne s'en sortent pas. Dans les années 1940, les films de Ernst Lubitsch et de Billy Wilder étaient populaires, et les polars étaient populaires. Mais il y avait des plans de cinéma qui ressemblaient à quelque chose, ils étaient plus costauds que ce qu'on a aujourd'hui.

Quelles seraient, selon vous, les conditions d'un retour de cette inventivité au cinéma?

J'en sais foutre rien! Je pense que le fait que les comédiens aient pris le pouvoir - parce qu'ils sont plus chers que les metteurs en scène, c'est eux les vrais patrons -, le fait que tout le monde donne son avis sur le scénario - les producteurs, les vendeurs à l'étranger... -, ça fait que tout ce qu'il y a d'un peu singulier fout le camp de toute façon.

Votre constat rejoint-il celui du critique français Eric Neuhoff, qui, dans son essai "(trés) Cher cinéma français", estime que la production cinématographique en France n'a actuellement aucun intérêt, à quelques exceptions près?

Je ne peux pas le dire très fort parce que je ne vois plus assez de films. Je vois des fragments à la télévision, un ou deux ans plus tard, et généralement je ne vais pas jusqu'au bout. Donc, oui, la qualité a baissé incontestablement. Mais ce n'est pas seulement le cinéma français, c'est le cinéma dans le monde.

Ceux qui s'en sortent peut-être le mieux, c'est les petits films de pays pas très solides économiquement. Là, il y a des gens qui peuvent, avec trois sous, faire des films sans la pression des financiers et des comédiens. Les pays bien industrialisés n'aspirent qu'à faire des films de divertissement. Les financiers, l'essentiel des comédiens qui sont là n'aspirent qu'à toucher des chèques importants.

"La liste de refus des acteurs est immense!"

Il y a 20-25 ans, je pouvais espérer obtenir l'accord de quelques comédiens - Michel Piccoli, Isabelle Huppert, Jane Birkin, Jeanne Moreau - sur un film. Aujourd'hui, et depuis 15 ans, j'ai des refus. Premièrement, je ne fais pas de films assez populaires, et deuxièmement, les comédiens veulent des chèques plus importants que ce que je peux leur donner avec mes petits films. Moi, je ne fais pas des films de divertissement, donc je ne peux pas faire beaucoup d'entrées. Par conséquent, on ne peut pas donner des salaires importants à ce point à des acteurs.

Est-ce qu'il n'y a plus chez les acteurs cet enthousiasme pour le cinéma en tant que forme artistique, la volonté de participer à quelque chose qui aille au-delà du simple gagne-pain?

C'est un peu caricatural. Dès le début, il y a des comédiens qui me disaient "non". Mais là, depuis 15 ans, année après année... Je n'ai pas fait de film depuis trois ans, parce que, précisément, je n'ai pas trouvé le comédien ou la comédienne qui me permettait de faire le film. La liste de refus des acteurs est immense!

Aujourd'hui les acteurs sont payés des sommes folles, un million d'euros, deux millions d'euros - c'est un peu comme le football... Avec des metteurs en scène qui sont payés cinq ou dix fois moins, comment voulez-vous qu'ils aient autorité sur quelqu'un qui est payé cinq fois plus? Ça n'a pas de sens!

Votre dernier film, "Rodin", était sorti en 2017. Sur quel projet travaillez-vous actuellement?

J'en suis à mon troisième script. Les deux premiers n'ont pas trouvé preneur, ni du côté des comédiens, ni du côté des financiers... Je viens d'en livrer un troisième. Si tout allait bien, je pourrais tourner à la fin du printemps prochain. J'ai exclu les acteurs et je suis reparti avec des enfants - ce qui me va assez bien-, pour que le film soit moins cher. Mais surtout pour que j'arrête de subir ces refus, qui n'en finissent plus, et que je ne désespère pas complètement du cinéma! (rire)

Donc, j'espère que grâce aux enfants, grâce à un budget aussi plus petit, je trouverai de l'argent. Mais je n'en ai pas la sécurité aujourd'hui, parce que ça ne sera pas un film de divertissement, évidemment. Ça ne sera ni une comédie ni un polar. Donc le point d'interrogation est immense...

Et le public dans tout ça?

Il y a aussi un public qui est beaucoup moins curieux. Si on pense à la France, il y avait des ciné-clubs dans tous les lycées, il n'y en a plus maintenant. A la télé, il n'y a plus qu'un ciné-club qui passe très tardivement sur une des chaînes publiques. Quant aux autres chaînes, il faut attendre 22h, 23h ou minuit pour commencer à voir des films... Ça intéresse les invalides, les retraités, les grands malades, mais pas les adolescents.

L'enseignement du cinéma n'est plus là. Si l'éducation nationale n'aide pas, si la télévision n'aide pas, et si les parents n'aident pas, étonnons-nous que nos enfants voient des films pas trop singuliers, pas très intéressants, pas très passionnants! A Paris, il y a des salles où on peut encore voir des films. Allez en Province, la plupart des salles y sont des multiplexes avec des films qui ne sont pas consommables pour moi, qui n'ont aucun intérêt. Étonnons-nous que dans la société de loisirs, il n'y ait quasiment plus que des films de divertissement! C'est logique, quand même!